dimanche 23 octobre 2016

9. D'un père...


D'UN PERE L'AUTRE...

On demande à Marcel Pagnol de prononcer un discours lors de l'inauguration d'une école "Marcel Pagnol" : "Je suis très honoré d'inaugurer une école qui porte mon prénom et le nom de mon Père..."




Jacques, Michel et son petit frère, étaient mes meilleurs amis. Nos activités nous rassemblaient, chez l'un ou chez l'autre, ou sur les plages des environs.

Je fus invité à goûter à Guipavas chez les parents de Michel, un petit camarade de classe. Mais cela aurait pu arriver aussi bien chez les parents instituteurs de Jacques. Nous étions en quatrième, je crois. Ou en cinquième. Nous avions dans les douze ou treize ans.

La maman de Michel me demanda le métier qu’exerçait mon père.
Je ne sais pas…
Tu sais bien quelle est sa profession ?
Je crois qu’il est dans la marine.
Il est marin-pêcheur ?
Non, plutôt dans la marine militaire…
Il est marin ? Officier, peut-être ?
Je ne sais pas…
Mais quand il entre à la maison, tu vois bien s’il porte un uniforme ?
Je sens encore le vide, la gêne vertigineuse, en lesquels je sombrai.
Non.
Je n’en savais rien.
Rien du tout.

Mes parents étaient revenus du Viet Nam depuis un an ou deux ans. Ou un peu plus.
Je ne savais pas s’il portait un uniforme parce qu’il n’entrait que rarement à la maison.
Je ne le voyais pas en uniforme.
Je ne le voyais pas non plus autrement.
Ou si peu.

A douze ans, je ne savais pas grand-chose de lui, à part qu’il disait qu’il avait été un grand sportif. Il se vantait d’être tout en muscles, ce que les photos récentes ne confirmaient pas tant que ça, un brillant homme qui avait sauvé son pays en embarquant sur un bateau.
Quand les petits copains racontaient les métiers de leurs pères, volubiles, je n’avais toujours pas la moindre idée de la profession du mien. Il fallut que passent quelques années après leur retour pour que je devine, aux plans qu’il finissait à la maison, qu’il était dessinateur dans la Marine Nationale ou quelque chose comme cela.
Mais ce fut bien plus tard et je l’en admirai.

Quelle que fut sa profession, un père me manquait. Ce manque m’interrogea dès que j’eus conscience qu’il n’y avait pas de papa sur les photos de mon enfance. Celles où on voit les petits copains avec leur papa. Celles où on voit les papas, même au loin, avec leurs enfants à côté d'eux.

Quand un enfant perd son papa, encore si jeune, il manque assurément. Mais vient le moment où l'on comprend que la mort fauche les papas sans demander leur avis ni celui de ses enfants. Il manque mais n’est pas responsable de ce manque.
On peut le pleurer en même temps que pleure maman.
Mon père manquait, mais pour la raison qu’il était parti. Et maman était partie avec lui. Pas possible de pleurer papa en consolant maman puisqu’ils étaient ensemble. Au loin.



Ce papa parti loin avec maman, je me convainquais que ce devait être par ma faute. Le monde autocentré de ma petite enfance ne trouvait que cette explication.
Je devais être bien méchant pour qu’ils m’aient ainsi abandonné. Et pour qu'ils tapent leurs lettres à la machine. Pas toutes, bien sûr.



Ton papa t’aime bien, même s’il n’est pas là.
Les papas des petits copains aimaient aussi leurs enfants.
Et pourtant ils étaient là…

Le père absent, la boite à pensées de l'enfant se façonne sans lui, avec le manque de lui. Il y a des tas de choses dans la boite. Elle est construite définitivement.
Mon père absent, ma boite à pensées s'était façonnée sans lui, avec le manque de lui. Son image, son exemple, son autorité, sa protection, n’y sont pas. N’y seront jamais.
J’en déduisis que ne saurais jamais être un vrai et bon père.
Je n'avais pas la moindre idée de ce qu’un père peut ou doit être ni faire pour son fils.
Mais la certitude me vint que ne pouvais que manquer ce métier-là !
Et que je ferais un fils manqué. Comme je devais certainement l’être !

Ami de parents, je ne sais toujours pas comment me comporter devant leurs enfants en bas âge, au moment où leur boite à pensées se construit.
Peur de mal faire. Peur de manquer.
Dans ma boite à pensées âgée de soixante-dix ans, ce père de la petite enfance manque toujours. Même si, entre temps... 
Par leur présence Pygmalion et sa sœur masquèrent ce manque la plupart du temps. A lui seul Pygmalion la masquait.
Un homme vaut un homme, mais Pygmalion, même exemplaire à mes yeux, ne remplaça pas un père.



Enfourcher le vélo et, en pédalant carré, aller à Longchamp. Depuis que mon genou ne me permettait plus de bien rouler, je continuais à venir retrouver les copains. On ne peut pas raconter toutes ses histoires aux copains.
Ils ne peuvent pas les comprendre toutes.
Mais, quand même de temps en temps le récif affleure.
Les moins perspicaces conseillent de se secouer, de penser à autre chose. Qu’en savent-ils de ce que le Pinocchio ressent ? Les plus sympas ou les plus pratiques invitent à partager fêtes et pique niques des jours de courses cyclistes. Mais au milieu des copains venus en bande ou par deux, on se sent encore plus seul.
Décalé. Cassé.
Les plus âgés ont leurs propres soucis, leurs maux.

Un, puis deux infarctus, ont serré les freins du vélo d’un ancien champion d’Algérie sur piste devenu habitué de Longchamp. Il n’y a pas si longtemps, il faisait encore bonne figure dans les pelotons, Tonio, rageur, les dents serrées couché sur son cadre pour profiter de l’abri et tenir encore un tour. Même s’il ne roule plus en peloton, il continue à fréquenter le circuit où il n’a que des amis.
A la fois sensible, macho et taquin. 
Solidarité entre pistards, il était aux petits soins pour mes vélos de piste. Il réglait la tension de la chaîne, réparait et collait mes boyaux spéciaux pour la piste avec une colle qu’il fabriquait lui-même avec de l’alcool et de la gomme arabique.
C’est grâce à ma maladresse que nous avions fait connaissance. Une petite pierre avait sauté entre le plateau et le cadre de mon vélo de piste. Légère torsion du plateau. Couchant mon vélo à plat, je tentais de redresser l’alu.
Il s’approcha doucement et me demanda si je voulais bien le laisser faire.
Sur place ce n’était pas possible.
Nous sommes allés à sa cave transformée en atelier. Il a démonté le matériel, ce qui est aisé sur un vélo à pignon fixe, mis le plateau dans l’étau en bois… et rétabli sa planéité en un tournemain.
Ravi de la leçon donnée, il m’a rendu mon vélo avec un regard lumineux.
Rendre un service allume dans les yeux une petite flamme attisée tant par la satisfaction que par la reconnaissance.
Tous deux satisfaits, reconnaissants.
Une jolie amitié était alors née. Moins âgé, Tonio me demandait la clef du studio de la rue George Sand pour de féminines rencontres. Il passait de temps en temps bavarder avec André Gaillard. Joyeusement, il nous racontait les démêlés de son ménage houleux, fier qu’à ses yeux tout cela nous prouve sa verdeur conservée.
Et pim et pam, comme il disait en mimant la scène. Il avait la main leste et le poing vif. Elle maniait la louche ou le rouleau à pâtisserie. Les réconciliations suivaient. Puis ils recommençaient. 
Aujourd'hui cette amitié prenait à son compte un peu de ma peine.
Comme je le faisais déjà par le passé, avant de venir à Longchamp, un petit détour me menait chez lui. Bavardage avec madame. Thé et petits gâteaux traditionnels de l’Algérois. Descente à son atelier.



A Longchamp il aimait raconter les courses à l’américaine remportées avec son équipier Eugène Arambourg, parent ou homonyme du Paléontologue, contre l’un ou l’autre des frères Pélissier.
Il était fier de les avoir sautés sur le fil au vélodrome d’Alger. Il tapait ses mains l’une dans l’autre en en faisant glisser une pour symboliser le coureur qui passe l'autre sur la ligne et gagne d’un boyau ou d’une roue.
Léger et étonnamment tonique, tout juste octogénaire, il savait comme personne faire patiner sa roue arrière d’un coup de pédale. Il témoignait des charges de dopants que les coureurs des années trente ou quarante avalaient pour remporter le Tour de France.
De la dynamite.
De mon côté je lui racontais ce que je voyais se passer ouvertement dans une des cabines de la Cipale, la plus éloignée de l’entrée du vélodrome…
La Piste ajoutait une complicité à notre amitié. Un après-midi je lui prêtai un vélo pour qu’il fasse quelques tours de la Cipale. Aux douches il avoua sa fatigue, mais il était content d’avoir tâté de cet anneau de ciment.
Elle est dure, cette piste ! Trop longue. Mauvais rendement. Parfaite pour s’entraîner.

Tonio ne trouva rien de mieux à faire que d’utiliser une lime rouillée pour tenter d’arrondir une dent cassée qui blessait sa joue. On imagine la suite qui aurait pu être dramatique chez un homme de cet âge au cœur fragile. Je fis appel à notre ami Duflos pour qu’il vienne le voir. Préférant rester dans l’anonymat, depuis qu’il avait pris sa retraite, il n’aimait que moyennement ces petits services entre amis. Tonio se fit gronder vertement, jura de ne plus recommencer, et se rétablit, suivi avec sérieux, autorité et conscience par son sauveur.
Ce jour-là j’eus l’impression que nous étions trois depuis le départ d’André Gaillard.

De moins en moins espacées, les visites de notre chirurgien stomatologiste d’Argenteuil m’apportaient un heureux réconfort. Il était l’un des rares à avoir bien connu André et sa sœur Georgette. Il en parlait avec distance mais affection et respect.
Il me prévenait de ses promenades et nous nous donnions rendez-vous à Dauphine, à la sortie Guimard du métro en bas de la contre-allée de l’avenue Foch. Nous traversions la place puis tout le Bois de Boulogne comme jadis avec Pygmalion. Des haltes sur les bancs soulageaient mon genou, mais l’engourdissaient davantage. Je n’osais pas me plaindre, mesurant ma chance d’avoir cet agréable ami.
Invité chez lui à déjeuner, quelque dimanche, je fis la connaissance de son épouse. Gentillesse froide, excellente éducation anglaise, raideur courtoise.
Elle se demande ce qu’est ce nouveau venu dans la vie de son époux…
Je ne réclamai pas que ces invitations se reproduisent trop souvent.
Il s’en produisit une, un soir avec mes parents de passage à Paris pour le nouvel an.
Pour mon plus grand déplaisir.


Trois mois que Pygmalion-Geppetto a été livré à la grosse baleine. Trois mois avec au début les jours à s’occuper de lui comme s’il était là. Régler les formalités, la paperasse. Ranger la maison. Le linge. Les objets souvenirs. Ce sont les jours les moins difficiles. Les plus déchirants mais avec sa présence encore chaude. Le vide, le vrai, vient après, sans prévenir. Quand il n’y a plus rien à faire d’utile et d’impérieux.
Notre ami stomatologiste, puisque c’est ainsi que je pensais à lui à cause de la distance qu’il maintenait entre nous, me sondait du regard. Il n’était pas dupe. Je continuais à m’enfoncer. Sciemment il restait en limite de ce champ intime. Ce qu’un de nos amis, mieux informé que moi, lui reprochait sévèrement, sans que je comprenne pourquoi. Jusqu'au jour où il lui fallut venir à l’hôpital pour me voir.
Il se montra sévère. Agacé. Contraint.
J’avais craqué, comme on dit, et il était fâché de constater qu’il ne pouvait pas me faire confiance.

Un choix le rendait perplexe. Soit il me laissait à mes regrets et amertumes, soit il m’empoignait et me sortait de là.
Cette seconde issue lui laissait entrevoir un gros travail, de la présence à Auteuil.
Et des questions de Madame.
Cela, je ne le compris que bien longtemps après.
En bref, aider d’accord, en médecin, mais au prix de quelles questions chez lui ?
Il dut y réfléchir profondément, et repasser en revue sa jeunesse.

Je sortis de l’hôpital. Je me sentais bien, comme lavé, frais mais fatigué.
Je pris le bus et rentrais à la maison. Elle était restée telle que le jour où une ambulance m’emporta.
Tant bien que mal je rangeais. Le téléphone ne tarda pas à sonner.
Il me donnait rendez-vous à Dauphine, à la sortie du métro.
C’était bref et n’attendait d’autre réponse que positive.


Sortie du métro.
Porte Dauphine.
Il portait une veste à carreaux gris-bleu et ocre, un peu comme un tartan. Par-dessus, il avait ajouté un imperméable bleu foncé. 
J’étais venu à vélo, en tenue cycliste, avec un gros pull bleu et rouge car je me sentais frileux. Je marchai donc à côté de lui, menant à la main mon vélo.
Mon dernier vélo de piste, noir, signé Burdini « ça fait mieux, à l’italienne » avait décidé le jeune constructeur…
Pensant qu’il souhaiterait marcher de Dauphine à Auteuil, je m’étais imaginé que pédaler de temps en temps à côté de lui me faciliterait les choses.
Avec gravité il retraça un bilan de la situation.
Ma santé, sa vie déjà pas facile à la maison.
Il avait pris une décision et allait me la dire.



Au milieu du Bois, près d’un gros arbre, qui barrait presque un petit chemin menant à l’avenue de la Reine Marguerite, il nous arrêta.
Jusque-là il m’avait parlé avec douceur et fermeté de sa situation chez lui. Peu de partages.
Peu de sentiments. Il évoqua Pygmalion. Je ne savais pas à quel point était ancienne l’amitié qui les liait. Georgette, si attentionnée voisine d'immeuble à Argenteuil. Si proche de son petit frère.
Amitiés anciennes mais profondes aussi, privées, préservées, cachées voire secrètes, qu’il dévoilait à mon attention.

Prit-il des gants ? A quel point fit il des détours ?
Je ne sais pas.
Ses yeux s’étaient emparés des miens et ne les lâchaient plus. Je n’entendais plus ses mots. Ils entraient directement en moi et m’emportaient.

Il traça avec précision le film de quelques instants de sa vie, la guerre finie, début 1946. Il était venu à Cherbourg voir son ancienne maison. Il avait laissé à Paris le jeune marin frère de sa future épouse.
Il vivait avec sa mère et hésitait quant à son avenir.

Une jeunette blond-châtain avait passé là.
Ils s’étaient connus. Quelques instants. Et ne s’étaient plus revus.
J’étais né neuf mois plus tard, fin 1946.
Longtemps il n’avait pas su la suite et n’y pensait même plus.
Puis notre ami commun André, ou plutôt sa sœur, à Argenteuil, la lui avait apprise.

Ma mère, mariée en 1942, soit quatre ans avant leur brève rencontre, était retournée en Bretagne.
Son mari avait reconnu l’enfant et lui avait donné son nom.
En définitive, cette naissance satisfaisait tout le monde depuis un échec précédent.
De là à combler d’amour le nouveau-né…
Elle s’était confiée à sa mère, ma grand-mère maternelle.
Secret de famille.

Il était passé par la rue François Lavieille où il avait habité, et rue Thiers, voir la petite maison louée par ses parents.
Pendant quatre ans il avait habité Porte Dorée avec son futur beau-frère avant d’épouser sa sœur en 1949.
Il n’apprit que bien des années après, par André et Georgette que j’existais.
Oh, pas que j’existais, personnellement. Seulement qu’il y avait eu une suite.
D'où venait le lien entre ma grand-mère et la famille Gaillard ?
Il ne le savait pas. De Bretagne certainement. Les Parisiens avaient fui Paris. certains en direction de l'Orne. Les Brestois, comme les Lorientais, avaient fui les bombardements Alliés sur les abris des sous-marins allemands. Certains vers le centre-Bretagne. Ou l'Orne.
Ma grand-mère avait pris le grand risque de me donner l’adresse d’André Gaillard. Peut-être pensait-elle que je reviendrais en Bretagne trois ans plus tard, mes études achevées.
De son côté il n’avait pas d’enfant de son épouse et avait fait en sorte de n’en avoir jamais. L’âge de madame avait vite résolu la question. Des années et une génération plus tard, elle avait reporté son attention sur ses petits neveux.

Abîme de perplexité.
J’aimais bien cet ami.
Voici qu’il n’était pas un ami mais mon père.
Ma grand-mère m’avait dirigé vers Pygmalion mais je devais n’en rien laisser paraître devant mes parents. Pygmalion le tenait parmi ses intimes. Il savait tout, ne m’en avait rien dit, mais avait préparé cet instant.

Tout le monde savait des tas de choses sur moi.
Sauf moi.

J’avais glané ici et là des éléments qui me laissaient douter que tout fut clair autour de ma naissance.
Ma grand-mère m’adorait. J’étais tout pour mon grand-père et mon arrière-grand-père… qui n’était pas le père de ma grand-mère, dont la mère, de toute façon, était elle aussi sans père connu….
Eux, étaient tout pour moi.
Mon père n’était jamais présent sauf, de mes onze à dix-sept ans, quand il n’était pas ailleurs, pour me faire réciter mes leçons et corriger mes devoirs, ce qui était en soi une grande chance.

Il était visible que ma grand-mère maternelle détestait son gendre.
Elle donnait pour fausses raisons de vrais motifs.
Le "Vous êtes ici chez moi !" que son gendre avait jeté à la face, de ses beaux-parents était le principal avec le mépris que cela révèle.
Affrontements, ingratitudes et reproches complétaient le tableau.
Elle laissait penser qu’elle aurait préféré que sa fille épouse un autre homme. Si ma mère s’était confiée à elle quelques temps après son voyage à Cherbourg, et si elle avait dit la profession de sa brève rencontre, il ne fallait pas être grand clerc pour suivre son regard et sa préférence.
Un gendre médecin spécialiste de la chirurgie maxillo-faciale ça vous classe une belle-maman.

Devais-je rire ou pleurer ?
Quand il eut fini de parler, je ne posai aucune question.
Pas en prévision de l’avenir.
Seulement parce qu’aucune question ne me venait en premier, mais toutes ensemble.
Comment le nommer ? En quels termes penser à lui ? Père et ami ? Ami ou père ? L’un ou l’autre ? L’autre et l’un ?
Quand ou a qualifié un homme d’ami, et même d’ami indirect, pendant de nombreuses années, quand et comment penser à lui autrement ?
En l’état de sidération où j’étais, nulle réponse ni question ne se risquait à l’horizon.



En homme de médecine il énonça son diagnostic sur l’état dans lequel sa révélation m’avait mis.
J’étais perturbé. Il y avait de quoi.
Cependant, ne m’avait-il pas prouvé depuis plus de dix ans que je pouvais compter sur lui au moins comme je comptais sur notre commun ami André Gaillard ?
Pygmalion était notre ciment, même décédé.
Il ajouta qu’il avait bien réfléchi avant de choisir de faire cette difficile révélation.
Si je l’acceptais, il ne serait à mes côtés que dans la mesure des libertés offertes, pour ne pas dire laissées, par sa vie de couple.
Il reconnut que la situation était dissymétrique.
Mais je ne demeurerai peut-être pas seul ?
Sa promesse tenait en peu de mots.
En une grande fermeté : 
Moi vivant je ne t’abandonnerai jamais.

Nous étions déjà arrivés Porte d’Auteuil.
Elle brillait de mille lumières qui se reflétaient sur le sol humide.
Il allait prendre le train de Petite Ceinture et reviendrait demain.
Je devais attendre demain avec confiance.
Il m’embrassa, me demanda d’oublier le monsieur Duflos et de l’appeler Maurice.
En attendant que je le nomme par son diminutif et lui par le mien.


Il monta dans le dernier wagon déjà éclairé en ce début mars.
Le quatre.
J’attendis le départ du train. Derrière la fenêtre arrière de la voiture de queue, en ombre chinoise, il m’adressa un baiser de la main, le poussant vers moi d’un geste léger dans le sillage bruyant du train qui s’éloignait en grinçant de toutes ses roues.

Je rentrai.
Assommé pour de bon.

Le lendemain il sonna à ma porte en début d’après-midi, souriant, entreprenant, volontaire, décidé.
Peut-être soulagé.

Avais-je un père ?
C’était trop tôt pour l’affirmer après tant d’années à en avoir eu un autre.
Après tant d’années à en avoir cherché un.
Après tant d’années à avoir cherché un regard de père dans les yeux des hommes en âge d’être un père pour moi. Voire d’être un grand-père.
Mais assurément il avait un fils.
Il sortit de sa poche un petit papier qu’il déplia.
Il en sortit une alliance.
A l’intérieur était gravé 7 avril 1902, date du mariage de ses parents.
Le mariage de tes grands-parents Duflos.
C'est l'alliance de ton grand-père.
Il me l’offrit en gage de serment disant qu’on y graverait 4 mars 1982.
C’était l’alliance de son père que, définitivement, il nomma « ton grand-père ».
4 mars 1982.
Date de ma nouvelle naissance avec lui auprès de moi, suggérait-il.

Aujourd'hui je peux bien le dire, penser à ce Maurice non comme à un père mais comme à mon père, m’a pris de nombreuses années. L’évolution de sa santé y contribua.



Agé de soixante-quinze ans au moment de la révélation, il avait un comportement de copain.
Plus vif, plus léger, plus rieur et plus taquin que moi.
Il marchait et courait mieux que moi.
Il dominait la situation et je la subissais.
Douze à quinze ans plus tard il devint un peu plus dépendant pour divers actes du quotidien. Il démontra son admirable plasticité d’esprit et nous plaça avec patience et précision dans nos nouveaux rôles.
Plus qu’être devenu son fils, il avait fait de moi son fils.

La séduction dura autant que l’éblouissement.
Longtemps.
Cependant son âge démentait peu à peu sa promesse de ne jamais me quitter.
S’il s’en allait, lui aussi ? S’il s’en allait comme ceux qui étaient mes grands-hommes, le demeurent, mais sont absents ?
Les angoisses de mon enfance réapparurent quelques mois plus tard, pour disparaître, revenir, s’estomper, éclater, s’apaiser.
Non sans douleurs pour l’un et l’autre. 
Sa longévité me rassura progressivement.
Ou me résigna.



CONFIDENCE...

Un prénom me fut donné qui n’était pas le mien mais celui de la poupée de ma mère. A la naissance j’échappai de justesse au prénom féminin que devait porter la petite fille désirée…
Un garçon naquit.
Au prénom s’ajouta un nom de famille.
Qui n’était pas le bon.
Puis un autre.
Sans le droit de le porter légitimement.
Comment voudrait-on que je sache qui je suis ?
Qui voudrait-on que je sois…
Depuis que je me pose des questions, sans savoir le faire, je ne vois qu’une réponse : je ne suis qu’une chose.

La chose de ma mère.
Elle me l’a bien fait sentir. Et souvent.
La petite chose aimée de mes parrain et grands-parents tant que j’étais un enfant. Heureux, puisque, mis vers un an entre leurs mains par l’absence de mes parents, j’étais figé en l’admiration d’eux.
Puis chose de ceux que je choisissais d’admirer, de copier et de prendre comme exemples pour bâtir une à une des parties de moi.
Ne réalisant que des morceaux de miroir d’eux.
Je n'étais pas un buvard absorbant leur écriture. Un buvard inverse et sèche. Je ne copiais pas à l'envers et je ne les desséchais pas. Je leur apportais tout l'amour que je pouvais, ma jeunesse et ma fantaisie.
Chose déconstruite et en cours de reconstruction par mon Père enfin révélé. Inconsciemment chose. Désespérément chose se refusant. Heureusement chose malléable, et heureusement chose en amour de son dieu docte et digne.

Je me revois comme extatique devant mon arrière-grand-père.
Copie de tout ce que je percevais de lui. En vrac.
Parce que c’était lui, et parce qu’il était là.
Le timbre de sa voix. Ses sourires tristes et apaisants.
Ses mots désuets.
Puis admiratif de mon grand-père.
Pour son affectueuse fragilité ?



Mes deux grands Anciens, comme on ne le disait pas en ces temps passés, classaient sans que j'en sois conscient, mes futures recherches de modèles inspirants du côté de la salle des Antiquités.
Une fois que l’esprit et l’œil se sont si tôt et si profondément faits, il s’avère illusoire de les vouloir détourner.
Mes modèles seraient donc âgés, affectueux et protecteurs.
Dignes d’admiration, voire de culte.
á leur image, évidemment.
Paternels, aussi, pour compenser un manque que je ne comprendrai que bien plus tard.

Parrain avait quatre-vingts ans et mon grand-père maternel soixante-et-un quand j'en eus cinq.
Parrain était mon copain de jeux, mon maître, mon horizon. Il m'apprenait toutes choses, le souvenir, s'inventer un monde avec presque rien. Je découvrais le monde à travers ses paroles, ses gestes et ses yeux. Ses joies et ses désespoirs.
Grand-père, n'était plus matelot-mécanicien. Avec ma grand-mère, il travaillait dans le café qui portait son nom. Sans doute n'avaient-ils pas autant de temps que Parrain à passer avec moi. Mes parents étaient au Viet Nam depuis trois ou quatre ans déjà.

Quand Parrain s'en alla, à quatre-vingt-cinq ans, j’avais neuf ans et douze quand Grand-Père est parti peu avant ses soixante-neuf ans.
A douze ans je pouvais comprendre ce que mourir voulait dire.
Mais je ne savais pas admettre que c'était irrémédiable.
Ou bien je ne le voulais pas.
Leurs départs m’étaient inadmissibles.

Sans eux c’est de ma grand-mère que j’allais apprendre à grandir. Elle avait toujours été très aimante et présente. Et maintenant, l’un comme l’autre, en même temps, nous avions perdu nos Hommes. Deux à penser à eux. Deux à aller ensemble au cimetière.
A deux on partage, c'est plus facile.
J'apprenais donc de ma grand-mère.
Mais, pour sûr, elle ne pouvait pas avoir vécu une vie d'homme. Or moi, c'est ce que j'avais à apprendre, et vite. Alors ce n'était pas comme avec Parrain ni avec Grand-Père.
Faute d'un père, il me fallait trouver comme exemple, comme modèle, un autre parrain ou un autre grand-père.

Parrain avait peu connu l’île-Tudy.
Quand nous commencions à y passer les mois de vacances, en location, il était déjà âgé et sortait peu. Grand-Père avait noué plus amplement relation avec les marins-pêcheurs retraités. Ils lui avaient expliqué les bons coins pour pêcher les coques, les palourdes, les pieds-de-couteau et les crabes. Et les crevettes qu’il attrapait avec un immense haveneau. Moi aussi j’avais mon haveneau. A ma taille.
Comme j’étais plus petit il m’était plus facile de me baisser au-dessus des petits trous dans le sable gris dégagé à marée basse qui dénonçaient une coque ou une palourde. Les doubles orifices des pieds-de-couteau ou les colombins des vers qui nous permettraient ensuite de pécher à la ligne.
Quand nous rentrions après avoir lavé les coquillages dans le panier en osier, Grand-Mère nous félicitait et cuisinait notre trésor à moins qu’on le mange cru, tout frais. On se régalait. Nous n'étions plus que trois désormais autour de la table.
L’après-midi nous allions à la plage. Grand-Père portait le petit parasol et le journal, et Grand-Mère le goûter caché dans un panier. Avec les jeux, le pédalo, la baignade, le temps passait vite.


De bonne heure Grand-Père m’avait appris à nager, devant la plage de Brest. Au début il me maintenait la tête, sa grande main sous mon menton. Il marchait à côté de moi ou en reculant et rectifiant mes mouvements. L’apprentissage alla bon train… Un jour, en riant, il me dit qu’il ne me tenait plus et que je savais nager !
Je ne m’étais pas aperçu qu’il m'avait lâché… Fiers tous deux.
Mi gamin mi poisson, l’eau m’attirait et mes Grands-Parents devaient insister pour que j’en sorte. Grand-Mère me séchait et frictionnait.
Vois, tes doigts sont tout détrempés !
Eté après été je pris de l’assurance, plongeant sous les vagues, qu’il pleuve ou qu’il vente. Nager sous la pluie est délicieux. L’eau est tiède, d’un beau gris-vert clair et on est tout entouré des clochettes que font les gouttes.
A l’île-Tudy, tout l’été je marchais, ou courais plutôt, pieds nus.
A la rentrée je continuais la natation en piscine, mais en ville il fallait reprendre les chaussures…

Parrain s’en alla, puis Grand-Père.
Grand-Mère trouva quelque réconfort et des mots de compassion auprès des filles et épouses de marins-pêcheurs. Elles savaient toutes ce qu’est perdre son père ou son époux. Certaines les avaient perdus de bonne heure. En mer, parfois.
Pour elles j’étais un petit qu’elles avaient vu grandir sinon naître.
Ma MabMab bihan, mon p’tiot. C’était merveilleux d’avoir autant de grands-mères.
Autant de grands-pères aussi, même si les vrais, essentiels, manquaient rudement.
Les vieux copains de Grand-Père fréquentaient toujours leurs bancs.
J’avais grandi et courais en tous sens, à la pêche aux coquillages ou pour pêcher les p’tits-prêt’ par les trous au bout de la cale.

Les copains de mon âge ne manquaient pas. Nous étions presque tous en vacances ici. Nous ne jouions pas usuellement avec les petits îliens de notre âge. Pourquoi ? Nous ne nous en posions pas la question.
C’était comme ça, même après plusieurs étés.
Une sorte de fossé nous séparait. Nous étions trop chics et trop étrangers pour eux. A Allègre je ne vois pas davantage les enfants de Paysans jouer avec les petits vacanciers. Mais les vacances ne durent plus aussi longtemps. Les séjours encore moins.

Nous nous baignions à la plage tandis que les petits îliens plongeaient à la cale, depuis les chalutiers, depuis les quais le long de la grève, à marée haute, ou à la grande grève.
Il nous arriva de faire comme eux, mais ce n’était pas dans l’ordre des choses de cette époque.
J’étais toujours en maillot de bain à moins qu’il fasse froid, en septembre.
Pour les petits îliens c’était quasi incongru, exotique. Nous étions momentanément sur leur terrain. Terrain de jeu pour nous, de vie pour eux.
Ils nous toléraient sachant que bientôt nous nous en irions. Ils retrouveraient leur presqu'île comme ils la connaissaient, d’automne et d’hiver, infiniment mieux et plus en profondeur que nous. Je les compris mieux quand il me fut donné d’y séjourner en hiver. Mais un vacancier reste un vacancier. Eux aussi avaient pris de l’âge et ceux qui n’étaient pas partis dans les grandes villes travaillaient là. Pas les mêmes emplois du temps !
Les jours de fête réunissaient vacanciers et Îliens pour les Pardons, la bénédiction de la Mer qui se faisait à la Pointe de la digue protectrice, et l'été autour des manèges et des autos tamponneuses. Au port, des tombolas donnaient à gagner des jouets, des peluches. Celle que mes grands-parents affectionnaient était celle où on pouvait gagner des filets garnis de vaisselle colorée. Pour tenter sa chance on achetait des tickets. Les petits bouts de papier étaient roulés si serrés qu'il fallait les doigts des enfants pour les lire. Une maladresse et hop ! ils sautaient de la main et s'enroulaient de nouveau. Quand on parvenait à les mettre à peu près à plat, on lisait Perdu ou Gagné !
Il arriva que nous rentrions le soir avec un de ces filets garnis tant espérés !
Le temps était bon enfant.
Peu d'assiettes ont résisté au temps. Si, si, quelques unes cerclées de jaune, vert ou bleu clair.

Les copains de mon grand-père savaient bien que le ma-mab venait de perdre beaucoup avec le départ de ses modèles. Ils lui offrirent la bienveillance que, visiblement, il quêtait auprès d'eux. Ma-mab était content de retrouver ces marins-pêcheurs retraités, assis sur leur banc.
Moins nombreux chaque année ou plus fatigués dans leurs habits de grosse toile délavée, bleue ou rose. Fatigués eux-aussi, les amples pantalons et les vareuses. Des pièces aux genoux et aux coudes ou sous les fesses rappelaient la couleur du neuf et insistaient sur le temps qui a passé.

Année après année, nous avions chacun un an de plus. La différence de nos âges et de nos expériences se maintenait, mais un an semblait leur avoir plus pesé qu’à moi. Auprès d’eux j’étais comme une petite plante qui apprend à pousser et, au grand soleil préfère l'ombre des vieux arbres. Retrouver la confiance en quelqu'un.
Rester petit-garçon encore un peu. En sécurité.
Ma-mab était heureux de retrouver leurs yeux d’écume rougis de sel et leurs bons sourires moustachus. Les vents de mer creusent les rides.
Au bout de quelques instants, conscients de ce qui nous rapprochait mais aussi de ce qui ne pouvait nous lier, ils lançaient quelque taquinerie et encourageaient ma-mab à filer jouer avec ses petits copains…
Et je filais, poussé vers une belle journée comme un oiseau élancé par d’encourageantes mains.



Les moins âgés mettaient encore le pied à bord des sardiniers qui se serraient le long de la cale. Les Travailleurs. Le Rien Sans Peine, Neptune. Le Darl’Mad, ou plutôt Dalc’h mad, Tiens bon ! Le Moby Dick, bien plus tard. Et les autres dont les fiers noms s’en sont allés par le fond ou dans les cimetières marins comme leurs coques en bois dont la peau pourrit et laisse voir leurs membrures. Mains décharnées aux doigts misérablement tendus vers le ciel.
Cimetières, marins, comme ceux des matelots et patrons-pêcheurs.
Des années plus tard, dans quelque bureau climatisé, il fut décidé qu’il y avait trop de bateaux de pêche.
Marins et patrons-pêcheurs virent broyer leurs outils de travail et de vie.
Ils l’entendirent, plutôt, car les larmes brouillent les yeux quand voir est trop dur.
Les larmes, la colère et le désespoir.




Quand ils revinrent du Viet Nam, à l’île comme dans la maison de Brest, mes parents firent savoir à la famille que les chefs, désormais, c’était eux.
Vous êtes ici chez moi résonnait, même ici.
A mes yeux, non, ici ils n’étaient pas chez eux. Ils n’étaient pas à l’origine du beau et douillet petit nid que mes grands-parents avaient façonné à l’île-Tudy quand nous arrivâmes inconnus en ce milieu resserré. Ils ne connaissaient pas les vieux copains de Grand-Père, ni les anciens sardiniers.
Torse bombé mon père arborait la mine réjouie de ceux qui se sont fermement installés en terre conquise.

Quand mes parents se firent construire une maison neuve et sans âme, nullement au milieu des petites maisons des pêcheurs, ils choisirent un nouveau lotissement, au Sillon. Je le regrettais car de là-bas on n’entend pas les échos de la vraie vie de l’île.
En un tournemain ils se drapèrent d’une légitimité que je ne leur reconnus jamais.

A mes yeux ils volaient l'Île-Tudy de Grand-Père et Grand-Mère !
Ils ne prirent pas le temps de la modestie. Le temps d’apprendre la vie d’ici de la bouche-même et de l’expérience des habitants, les vrais. Quand ce n’est pas fait à la première minute, c’est trop tard.
A l’Île-Tudy comme ailleurs, ils furent connus comme ce qu’ils étaient, les Caroff-Moi-Je.

Quand je revenais passer quelques jours de vacances, à table c’est la télé et mon père qui avaient la parole. Je mettais à l’eau le bateau sportif qu’ils m’avaient offert et naviguais. Ils étaient généreux. Simplement nous ne nous comprenions pas. J’aimais le bateau, mais en ai aimé d’autres par la suite, encore plus sportifs.
J’aimais un certain confort, mais ce n’était pas essentiel.
Cependant mon père aimait sincèrement l'ÎLe-Tudy.
Ils ne m’avaient pas construit. D'autres m’avaient fait. A leur image. Différent de mes parents. Nous pouvions partager les mêmes superficialités, mais n’étions pas bâtis sur les mêmes valeurs essentielles.
Pygmalion vint passer quelques vacances, si possible quand mes parents n’étaient pas là.
Il tira vite ses conclusions, simples, claires et définitives.
A son image.

A l’école, mais dans la vie, je commettais et réitérais des bêtises d’adolescent. Plus souvent qu’à mon tour j’étais collé les jeudis. Je fus même exclu un ou deux jours. Quand on demandait qui était  le fautif ou le coupable, je me dénonçais à chaque fois mais à chaque fois recommençais, de plus en plus gravement. Appels dans l’espoir qu’on finirait par me poser les bonnes questions, m’aiderait à fournir les vraies réponses et me sauverait enfin.
Adolescente solitude.
Après le décès de Pygmalion, me voyant dériver, notre ami de dix ans, se dévoila. Il me semble qu’il fut le premier à apporter des réponses à mes appels. Mon Père. Le vrai.


A l'Île-Tudy comme à Brest, ma grand-mère et mon père ne se parlaient plus.
C’était terrible. Pour ma mère aussi, qui était prise entre sa mère et son mari.
Mais elle avait choisi.
Je revins à l’île de moins en moins souvent.
Puis plus du tout.
La maison fut vendue. On prétendit que je n’y tenais pas puisque je n’y venais plus. Ma mère ne me laissa pas le temps de la lui racheter.

Se souvenant d'un passé plus lointain, des îliens m’assurèrent qu’on me trouverait une maison à acheter. Dans le bourg.
Cassés, la continuité du passé et les liens. Et moi aussi.
Un autre événement s’était produit. Entre-temps.
C’en était fini.
L’histoire d’amour entre l’île-Tudy et mon passé ne vivrait plus que dans mon cœur et peut-être dans de pauvres mémoires pour quelques fragiles moments encore. Dans des souvenirs.
Et mes rêves.

La Bretagne, la mer, ne vous manquent pas ?
Oooh non…

Menteur !
Je mens.
Elles me manquent. Beaucoup.
Allègre et les paysages volcaniques ont pris place en moi.
Grâce à Sa Naissance, à Son Rôle à mes origines, à Son Amour pour moi.
Parce que les beautés du village et du Velay me parlent.
Parce que des Vellaves m’ont touché ou plu.
C’est une très grande place, plus que cela encore.
Mais ce n’est pas celle de l’île-Tudy.
La seconde ne remplace ni n’efface la première.

Entre-temps je nageais à la piscine de Brest et parvenais à un niveau assez correct. Dans le vestiaire un échafaudage détonnait sur les petits tas d’habits des jeunes nageurs. C’était le pantalon à demi dressé sur la jambe de bois d’un vieux moniteur.
Il entreprit de me convaincre de battre des pieds avec une plus grande ampleur. Je sentais que je perdais en efficacité, mais n’osais rien en dire car la soumission me plaisait, sous l’autorité et l’expérience de ce vieux maître au corps parfait malgré son handicap.
J’acceptais de pâtir pour que dure cette admiration.
Mes aveuglements consentis n’ouvraient pas que des chemins ensoleillés.


L’école de voile de l’île-Tudy où mes grands-parents m’inscrivirent pour la durée des longues d’été me sortit de mon isolement d'avec les enfants de mon âge. Cela me fut profitable. Au point qu'à treize ans cela décida de ma future profession.
Le directeur, Bob, menait l’école sur un mode viril. L’école fonctionnait aussi grâce à son épouse Francette, son fils Yvon et sa fille. Chacun ajoutant sa touche d’humanité, d’amitié, de charme dynamique.
L'apprentissage de la voile commença merveilleusement. Deux élèves. Deux bateaux. Deux moniteurs, un chacun. De cette manière qui ne doit plus se rencontrer, j’imagine, on apprend vite. Très vite.
Quinze jours ou trois semaines plus tard je passai chef de bord. Pas une promotion, juste une manière efficace de recruter des relais entre les cadres et les futurs élèves. J’avais été bon élève, qui ne l’aurait pas été dans ces idéales conditions ? Je ne pris pas très au sérieux ce nouveau rôle. Trop jeune. Treize ans… J’expliquais plutôt bien et cherchais à entrer dans les détails. Mais j’avais l’esprit en vacances et mes projets passaient par l’école, pas par l’école de voile.
Mes prestations étaient inégales. La tête ailleurs.
J’ai dû décevoir le patron. Je ne sais pas.
Il était exceptionnel.
Bob avait perdu un bras. Je ne sais pas comment. Sa main valide avait souffert elle-aussi. Il compensait avec de robustes jambes. Moins robustes, l’âge venant. Pour manoeuvrer et prendre un bout il le chopait fort de ses trois doigts et avec les dents. Quand le bout lui échappait il payait par la perte douloureuse d’une ou deux dents. Un tel rythme abîme un homme. Si robuste et volontaire fut-il. Comment n’en être pas admiratif et ému à la fois.

Un régatier confirmé qui campait à l’île-Tudy, venait à l’école de voile chercher des équipiers pour les régates… et, plus usuellement, pour l’aider à mettre son bateau à l’eau.
Je me portais volontaire, attiré par la popularité et la science vélique de ce Marcel rompu aux fins exercices de la régate en eaux intérieures. Les manœuvres dans un mouchoir de poche et les vents changeants et facétieux, lui avaient enseigné ce qu’en mer on ne rencontre que rarement. Plus malins qu'on croit, les marins d'eau douce ! Il cultivait l’art des ordres silencieux car en lac la voix porte loin qui indique aux concurrents les stratégies envisagées. L’art du silence et celui de la malice qui met le barreur opposé en mauvaise posture. Il cultivait aussi un catalogue de fausses insultes rigolotes à l’endroit de ceux qui lui faisaient un coup de tribord ou lui volaient la priorité à la bouée.
Salaud !
Moi d’être choqué. Lui de s’en amuser et de rire malicieusement !
Dominant fier de l’être. Dominé ravi de l’être.
Tous deux d’en rajouter…



Marcel fit la connaissance de mes parents et sentit que nous ne savions pas nous entendre. Ils avaient été trop longtemps absents. Il mesura qu'à cause du fossé qui me séparait d'eux, et depuis les décès de mon grand-père et de mon arrière-grand-père, je n’avais plus de modèle à suivre. Il m’apporta son expérience de la voile, celle de la vie et ses valeurs.
Son épouse et lui étaient proches du syndicalisme laïc, ouvrier et sportif, ouverts sur le monde. Ils n'avaient pas eu d'enfant. Peut-être, trouvaient-ils en moi un ado à former et orienter vers un itinéraire travailleur et digne. Un ado de plus, car ils s'étaient engagés dans des associations où ils aidaient la jeunesse à acquérir des valeurs.

Chaque été je les retrouvais. Ils campaient.
Plusieurs années durant j'attendais nos rendez-vous d'été en échangeant des lettres avec ces nouveaux guides.
Quand je fus installé à Paris, ils aimèrent fréquenter mon Pygmalion. Nous prenions le train jusque vers les champs infinis de la Beauce, à l'ombre de la cathédrale de Chartres et des murailles de Châteaudun. Le déjeuner en groupe et l'après-midi passaient vite. Nous faisions un peu de bateau sur le lac où Marcel avait forgé sa science de la pétole et des petits airs changeants.

Jaloux de l’attention que je portais à mon maître ès-voile, leur doyen, mes parents de Bretagne ne se comportèrent pas toujours de la meilleure façon vis-à-vis de lui. Je ressentais leur attitude comme une mise en demeure de choisir entre eux et lui. Cela ne durait que les mois d’été, mais j’en étais troublé et il en était témoin.
Habitué à travailler avec des jeunes, il sut se montrer diplomate et préserva d’une part le lien familial, et d’autre part notre amitié.
Cette reconnaissance de la qualité de notre relation me flatta et décupla mon admiration.

Quelques années plus tard la fin de sa vie me montra les deux versants de l’amitié.
On lui trouva un cancer des poumons.
A lui, athlète qui ne fuma jamais et passait sa vie au grand air ! Entre deux opérations douloureuses, le décès subit de son épouse, lui asséna un coup terrible. Je prenais le train, ou la moto, pour venir le voir à l'hôpital.
Je découvrais ce qu'est souffrir. Ce qu'est l'empathie.
Il avait mal partout, et à l'âme en plus.
Si mal que, glissant ma main sous la sienne, je vis que cela aussi lui faisait mal. Seul un petit baiser sur le front me permettait de lui dire...
De lui dire... Que c'était injuste ? Que je le voyais partir ?
Quelle bêtise de naître homme. On n’a pas le droit de dire à un ami qu’on l’aime.
Quand je rentrais, Pygmalion me redonnait confiance en demain.


A Paris les années de licences semblaient devoir limiter mon horizon aux certificats qui les concluaient. Le sentiment de solitude et la mésentente familiale les colorèrent à leur façon grâce à un nom et une adresse écrits de la main de ma grand-mère sur un petit papier.

Ce soir-là Pygmalion m’emporta au-dessus, davantage, au-delà de moi-même.
Mon Père et lui s’étaient connus, jeunes-gens.
Mon Père connaissait ces éblouissements que j’évoque et qui magnifient. Il savait contrôler la profondeur de ses admirations. Moi pas.
Et quand je fus hébergé dans son studio qu’il gardait inoccupé, un soir où tout vous élève, Pygmalion me fit partager un univers que je ne soupçonnais pas.
Exceptionnel.
Il le resta.
Ce paysage éclairé par un soleil unique n’a pas perdu une once de son éclat doux et merveilleux.

Il arriva que mon Père et moi, évoquant Pygmalion, nous fûmes capables d’avouer l’un à l’autre que nous avions connu ce merveilleux. Chacun porté au plus haut de soi et par le même homme. Nous partageâmes une commune reconnaissance à son égard.
Nous avions reçu la même grâce du même homme, un peu plus âgé que lui et beaucoup plus âgé que moi. Une grâce toute de pure amitié. D'exceptionnelle pureté.
Ils avaient échangé ce que la jeunesse leur donnait en commun.
J’avais reçu de Pygmalion ce que son âge, son savoir, sa maîtrise, lui permettaient de mettre à ma portée.
A condition que j’en fus digne.
Je le fus, mais exceptionnellement car usuellement je n’en étais pas digne.

Ce jour où mon Père se confia à moi, je sus qu’il était de la même qualité que Pygmalion. J’en fus fier et le demeurai toujours.
J’avais non pas un soleil dans ma vie, mais deux.


Désireux de quitter l’enseignement, je testais d’autres voies.
Pygmalion veillait sur le bien-fondé de mes initiatives.
Il m’envoya rencontrer l’administrateur du Français.
L’altitude de ce brillant personnage m’en imposa. 
Pygmalion faisait partie d’un cercle de ces hautes personnes.
Brillants, réellement.

Il organisa un premier rendez-vous.
Il y en eut d’autres pour évaluer les costumes que je pouvais, peut-être, créer.
Ma fougue ne convenait pas bien à l’illustre et classique Maison de Molière.
Maurice Escande me fit lire "Du vent dans les branches de sassafras" que René de Obaldia avait écrit trois ans plus tôt et que Le Théâtre Français envisageait de monter.
Je m’appliquai à lire, comprendre, et à imaginer des costumes.
Je revins au Français.

Il nous arrivait de partager le minuscule espace de l’ascenseur avec de jeunes pages en costume de scène. Monsieur l’Administrateur leur caressait affectueusement la joue. Les gamins ne s’en effarouchaient pas le moins du monde. Le théâtre connaissait la vie de Paris.

Le glorieux acteur qui incarna plus de deux-cents personnages de Corneille, Racine et Molière, jusqu'à Voltaire, Hugo, Guitry et Montherlant, me fit asseoir dans le vaste canapé de son bureau pour parler avenir.
J’étais plutôt mignon et bien fait, mais ne savais pas être ces gentils petits pages.
Un après-midi d’été, tout d’une pièce dans son corset qui le maintenait depuis une éventration, IL s’approcha. Très près. Déclamant de magnifiques tirades. Je ne sus que migrer le long du canapé, souriant de toute ma niaiserie, jusqu’à parvenir à l’extrémité du siège.
Au-delà je ne pouvais plus que choir…
Monsieur Escande me prit alors les mains que je devais avoir glacées et moites d’émotion, et, attendri autant qu’amusé, me dit avec une immense douceur que c’était très bien ainsi et que je devais rester cet enfant-là toute ma vie.
Il rajusta sa cravate, me demanda de transmettre ses fidèles et respectueuses amitiés à mon Pygmalion, déposa un bisou sur ma joue et me donna congé.

De retour à la maison, tout penaud, je racontai à Pygmalion l’épisode canapé…
Il en rit de bon cœur.
Il savait par avance que viendrait ce récit et c'est pourquoi il ne m'accompagnait pas au Français. Il me réconforta, mesurant ma méconnaissance des réseaux parisiens, y compris le sien. Il me pensait quand même un peu plus décrapé !
Ma fidélité à sa personne l’avait flatté… mais encombré.
Flatté par l’admiration que je lui portais, compte tenu de son âge avancé et de sa santé fragile.
Encombré car voilà que se trouvait un petit breton naïf, comme un chien dans son jeu de quilles jusque-là tout à fait bien rodé.
Plus tard il me détailla explicitement les deux versants éventuellement contradictoires de la fidélité en amitié…

Amis ou petits-amis, j’ignorais la différence.
A Brest ou à l’île-Tudy on ne parlait pas de cette différence, exista-t-elle ou pas. Petits copains ou copains, c’était du pareil au même, quoi.
Ma mère et ma sœur me disaient "Tes petits-amis te coûtent cher !" racontait Pygmalion ravi que je comprenne enfin un ressort de plus dans sa longue existence.
Certains lui avaient coûté cher, en effet. Les voitures, les voyages et les restaurants.
D'autres l’avaient aidé ou lui avaient été profitables.
Il me donna de nombreux livres à lire qui éclairaient sa vie.
Montherlant et Gide, d'un côté, Roger Peyrefitte et Georges Bataille d'un autre.
Mon Père montrera qu'il n'avait pas oublié cette page entrouverte en ajoutant Jouhandeau et Green à mes lectures.

Toujours capable de pointer le comique dans quelque situation que ce soit, il me confia qu’un de ses amis avait très bien réussi dans la vie, puisque qu’il avait été ministre du général de Gaulle que, par ailleurs, il ne portait pas dans son cœur. Ledit ministre était surnommé Pamplemousse… Regard coquin.
Il avait réussi à me fait rire avec un de ses sujets, comment dire… privés.
Pygmalion n’était pas que sérieux, insensible et rebelle.
Il avait aussi des mystères dans sa grande besace.
Chouette !
Il en fut de même du Père auquel Pygmalion m’avait amené. Pygmalion avait domestiqué le chien fou, mon Père passa la deuxième couche en se recommandant du même cercle. Leur ami collectionneur aussi. D'autres.
Alors il y avait des mystères chez chacun de ces Maîtres ?

Admiration et rêves s’accommodent mal des surfaces lisses et rases et des silhouettes trop parfaites. Mes admirations et mes rêves s’en accommodent mal, mais des maquillages cachottiers aussi.
C’est mieux quand on ne sait pas tout, mais c’est bien quand on sait pouvoir faire confiance.
"Reste enfant toute ta vie".


Maintenant, âgé moi-même, je me retourne sur chacun de ces hommes d’âge qui ont accompagné des moments de ma vie.
Paul, rescapé du Vercors, entier au point que cela limita sa carrière même si cela le grandissait aux yeux de ses amis. Tonio, si courageux et rageur dans l’effort. Louis, le marin-pêcheur si peu lettré mais qui détachait soigneusement le ou et le i de son prénom. Gaston, rêveur magnifique, émouvant. Gabardine, qui s’enfuyait quand mon Père ou moi lui faisions un compliment. Pierre, artiste peintre étranger aux réalités du temps qui passe. Henri prêt à tout perdre pour n’avoir pas à affronter les autres. Claude, condamné au secret par la magnificence de sa collection d’œuvres d’art. Victor, par amitié accroché à un absent.
Jeux de dominants-dominés. Mimétismes.
Par eux je progressais sur mon propre chemin. Ne retenant d’eux que ce que j'étais capable de voir et capter, je devenais un moi composé de morceaux d’eux.
Il arriva qu’une manière de passion ou d’amour l’emporta sur l’amitié.
Amour, ce mot que la société refuse... au masculin.
Amitié, qu'on ose à peine prononcer.
Mots qui ne viennent à la bouche des hommes vis à vis de leurs amis que posthumément.
Quand ils viennent...

Lorsque me revient une réflexion d'un de mes maîtres, une plaisanterie, une expression muette, une attitude, je suis ravi d’en citer l’auteur, de mettre ses mots entre guillemets, quitte à ce qu’on pense que je ne suis qu’un vain recueil de citations. Admiration.
Faire miens leurs propos en omettant d’en nommer l’auteur serait perdre la saveur des originaux, me préférer à eux, clore mon admiration envers leur exemple.
Délicieux aveuglement de la jeunesse envers le grand âge.

De la qualité de mes maîtres et de l’attention que je leur ai portée, a dépendu la modicité ou la complétude de mon apprentissage.
Si je me suis hissé relativement à eux, c’est un hommage supplémentaire qui prolonge leur présence.
Mieux vaille qu’on leur attribue leurs bons mots, belles pensées ou opportunes réflexions, plutôt qu’à moi.
Apprendre pour apprendre, apprendre avec comme but d’en savoir un peu plus le soir, fut une quête boulimique, mais jamais au détriment de mes maîtres. Maître d’un instant sur un sujet ou pour toute une période de mon apprentissage. J’imagine que si j’avais été une fillette puis une jeune femme, j’aurais cherché mes exemples auprès d’amies, de mères et de grand-mères.
Mais, en garçon, c'est près des pères et grands-pères que j’ai cherché et trouvé mes modèles.

Absorbé par une quête linéaire, je n'ai remarqué que ce qui se trouvait là, devant moi. Je n'ai suivi que les traces laissées par les Anciens qui me précédaient et dont j'admirais les routes. Comme si mes roues se laissaient guider passivement par de précédentes traces gravées dans le sable, la boue ou la neige.
Passivement ? Passionnément ? 
Si j'avais été plus ouvert, facilement attiré par des espaces éloignés des bords de ma route, j’aurais probablement exploré des espaces que j'entrevoyais. Sans les ouvrir.
Plus ouvert ? Ou plus aisément distrait de mon chemin ?
Combien de portes ai-je ainsi dédaignées…
Ou simplement pas osé entrouvrir...
Quand Porte d’Auteuil je voyais Philippe Soupault attablé seul, âgé et malade, et que nos regards se croisaient, je brûlais d'envie d'entrer dans le café.
Je n’ai jamais osé et en garde le regret.



Ecouter un homme célèbre ou un inconnu.
Ecouter. S’ils acceptent de parler…
Dessiner ou peindre leur portrait. Juste les photographier pour scruter ensuite longuement le moindre reflet dans leurs yeux, la moindre ombre dans leur regard, l’esquisse d’un sourire, d'une souffrance muette ou d’une moue réprobatrice.
Quels mondes particuliers et uniques ai-je ainsi laissés dans l’inconnu ?

Nous étions étudiants en arts plastiques. Quotidiennement nous cherchions au hasard de Paris des motifs à dessiner. Monuments, arbres, paysages urbains, ou des personnes qui acceptaient de rester relativement immobiles un bref instant. Nous-mêmes le plus souvent, l'un dessinant l'autre dessinant un troisième... Copains et copines de Claude Bernard. Un après-midi nous avons avisé un clochard bien tranquille assis sur un banc de la Porte d'Auteuil, son baluchon à côté de lui.
"Nous cherchons un modèle et aimerions dessiner votre portrait en quelques minutes".
Sa réponse, toute en un second degré que nous n'attendions pas : "oh, moi, je ne suis pas un modèle…"

Je suis passé à côté de précieux enseignements, qu’ils viennent de grands ou d’humbles, de professeurs ou de sans-logis passant dans la rue leur baluchon sur le dos ou dans un caddy emprunté au supermarché.
Alors, petite vie toute bête...
Faire un peu de vélo, même en pédalant carré
Sur le VTT offert par...



Puis d'autres horizons imprévus.


<><><>

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire